16/04/2007

Les générations comme catégories d'analyse

La revue Temporalités a proposé dans son numéro deux, du deuxième semestre 2004, un dossier sur les usages de la notion de génération. Ce numéro thématique a réuni des des travaux de terrain « adoptant une démarche réflexive sur ces usages, tant analytiques que sociaux » et, par là même, « montrer l’actualité scientifique de ces approches et d’en dégager quelques lignes de force». On n'y retrouve un certain nombres d'articles, issus de journées d'études sur le thèmes des "Approches Générationnelles" organisé par le Laboratoire Printemps (UVSQ, CNRS) en 2003. L'objectif et le point commun de ces contributions étant « de concevoir et faire fonctionner des approches générationnelles sans pour autant fixer ou figer des générations. La génération [devenant] alors une catégorie d’analyse permettant d’accéder à l’intelligence de changements sociaux, à la compréhension de processus, à l’identification de temporalités, qui travaillent les parcours individuels, les histoires collectives, les dynamiques des institutions ».

On sait que les catégorisations d’âge sont prégnantes dans le débat social et plus généralement dans le fonctionnement des collectivités. Dans ce cadre la notion de génération est une ressource pour affirmer, déplacer, contester, des divisions et des classements d’âge. En tant que catégorie sociale mobilisable par les individus, groupes et institutions, elle fait l’objet d’usages à la fois récurrents et renouvelés dans de nombreuses sphères de la vie sociale : « génération Miterrand » ou « génération Le Pen », « génération 68 », « génération de la crise », « génération des anciens », « nouvelles générations », « générations dépassées », etc. L’abondance de ces exemples souligne combien cette notion constitue un ingrédient de base pour délimiter des groupes, pour figurer des collectifs, pour mettre en scène des différenciations, pour tracer des lignes de partage ou de clivage, pour raconter des histoires, pour agencer des changements, pour qualifier des temporalités (ruptures, basculements, inerties, accélérations, récurrences, boucles…).




On comprend que dans un tel contexte le repérage et l’identification de générations soient pour les chercheurs en sciences sociales des opérations délicates. En cette matière, différentes postures et démarches sont, depuis longtemps, repérables, déclinant des acceptions particulières de la notion de génération, parfaitement lisibles dans les adjectifs qui lui sont accolés. Les générations démographiques réunissent des individus nés à la même période et désignent des classes d’âge ou des cohortes ; les générations familiales différencient les membres d’un groupe de parenté en fonction de leur position dans la parentèle ; les générations sociales ou historiques rassemblent des individus qui ont en commun d’avoir vécu certains événements marquants et d’avoir partagé des expériences spécifiques. Dans tous les cas se pose avec acuité le problème de la pertinence des générations ainsi distinguées : qu’est-ce qui constitue et fédère l’homogénéité d’une génération et qu’est-ce que la différencie et la spécifie par rapport à d’autres ? Si le travail d’enquête est destiné à argumenter des réponses à ces questions, le risque est toujours présent de dériver vers la démonstration unilatérale de l’existence de générations posées d’emblée comme des agrégats pertinents. (D. Demazière, introduction, « Les générations comme catégories d'analyse »)


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